Un jour viendra où nous en aurons fini de frôler les murs. Nous frôlerons les corps. Émoustillés, nous serons, par le danger de la proximité.
Mais en attendant ce temps, que faut-il imaginer pour que la vie reprenne son cours et que l’art reprenne ses droits ?
Comment honorer le geste immémorial de se rassembler et de vibrer ensemble ?
Et pourquoi s’entêter à ce que la rencontre s’accomplisse ?
Pour l’instant, nous naviguons en plein brouillard et nous accueillons l’inconnu comme une donnée avec laquelle il faut désormais composer. À la fois prostrée et propulsée par la peur du vide et la peur du rien, nous nous surprenons aujourd’hui à toutes les créativités et les technologies de demain. Facebook live depuis votre salle de bain, intégrale téléversée version gros grain d’une captation de 1980, mini performances maison résultat mi-figue mi-raisin. Bien sûr, toutes les voies de contournement sont bienvenues. Mais comment célébrer la rencontre en chair et en os, tout en trac et en appréhension, plantés dans l’ici et le maintenant et pas autrement ?
Si jadis nous chantions Video killed the radio star, ne sommes nous pas en train d’obéir aujourd’hui à la rhétorique ambiante qui encourage à faire migrer notre travail vers les plateformes numériques ? Il semble déjà que nous entonnons tous en chœur Digital killed the theatre star… Rappelons-nous que Much Music n’existe plus. Et les stars de cette ère sont désormais révolues. Alors oui, je m’en confesse, je suis simplement nostalgique du temps où on pouvait sentir frémir d’émotion son voisin de siège et devant nos yeux voir la sueur gicler, la larme couler, les postillons éclater aux visages dans la fulgurance des assauts mitraillés.
En attendant que tout cela se puisse à nouveau, pourquoi ne pas disparaître un peu, s’effacer, s’évanouir, cultiver le mystère et faire monter le désir parce qu’au retour, il nous faudra être prophète.
Il nous faudra être prophète
Nous sommes tous d’accord, il faudra renaître de nos cendres. Trouver d’autres façons de nous enchanter. De toute manière, n’avions nous pas déjà perdu un peu de notre innocence, de notre puissance, de notre pertinence ? Pressurisés par un système productiviste. Cet arrêt obligé met en lumière nos contradictions. Désormais, il faudra être prophète en son pays. Avoir quelque chose à dire qui soit entendu de ce côté-ci. Prendre possession du territoire. Et donner à voir ici les œuvres qui, jadis, ne résonnaient que de l’autre côté.
Il nous faudra être prodigue
Nous sommes tous d’accord, il faudra battre en retraite. C’était joli le temps où nous pouvions nous épivarder. Faire des allers-retours Montréal-Paris cinq, dix fois par année. En toute humilité, enfant prodigue ayant tout dilapidé, il faut maintenant rentrer à la maison. Et tenter de minimiser nos empreintes par une pratique concertée, bienveillante et intelligente. L’artiste et tout le système qui tourne autour s’est, un jour, mis à obéir à une logique comptable et a plié genou devant le monstre de la rentabilité. Alors, s’il vous plaît, dites-moi que c’est fini le temps où les grilles Excel témoignent de notre excellence.
Il nous faudra être prodige
Nous sommes tous d’accord, il faudra avoir quelque chose à dire qui nous sorte de la lentille du confinement. Il faudra de la vibrance, de la démence, de l’humidité. Il faudra des mains sales, des éclaboussures de sang, de sexe, de lumière. Il faudra du silence, du temps et il faudra faire lever la poussière. Il faudra s’extirper du sofa, où nous sommes maintenant fossilisés, et se convaincre à nouveau les uns les autres du service essentiel qu’est rendu à la société quand le corps s’ébranle et quand la parole jaillit.
On le voit. On le sait. L’art est le seul médicament pour lequel on ne sera jamais back order.
Il suffit de voir maintenant comment l’administrer (au sens propre et figuré).
M.D.