Déclarations

Il y a dans Déclarations un désir de nommer le monde pour le capturer, pour s’en saisir, pour encapsuler l’essence d’une vie, la valeur d’un corps. Il y a une tentative de vivisection pour jauger entre ses mains le poids d’un destin. Il y a un appétit pour les détails du quotidien et quelques fulgurances qui traverseront nos existences. Il y a, si je peux me permettre, quelque chose de vicieux, de visqueux, de voyeur. Et en même temps, une pudeur. Comme si l’auteur avait abordé son drame à lui comme on regarde un documentaire sur les dépotoirs en Inde. Une tragédie inévitable qui nous concerne à peine. Ici, la mort imminente devient prétexte pour allumer le projecteur des souvenirs. Et là, se déploient sous nos yeux les milliers d’histoires qui témoignent de notre passage. Des murs de stuc à la couleur du tapis. De la première baise à la fugue du voisin. De l’accident de char au vol des oiseaux. Une surimpression impressionniste pour se délecter de l’inéluctable. En constatant l’ampleur de la tâche, celle de traduire une vie, nos vies, toutes les vies, c’est l’image de la nature morte qui s’est imposée. Comme pour raviver le plaisir de regarder le temps agir. Jouir de sa tranquille progression sur les êtres et les choses. S’incliner devant son pouvoir. Car si vous regardez d’assez près, vous nous verrez vieillir, devenir gris, sécher et mourir. Mais j’ai envie de dire… Fuck la putréfaction. Déclarations, c’est aussi le plaisir de se rebeller contre sa propre mise en œuvre, sa propre mise au monde, sa propre mise en scène et sa propre mise à mort. À l’intérieur de ce système théâtral se joue la dictature de l’inconnu. Il n’y a pas de place pour imposer le sens. Ce serait mal venu. Il y a plutôt l’espace pour toutes les conflagrations possibles entre les mots et les gestes, entre les pulsions et les impulsions… Il y a l’espace pour toutes les conflagrations possibles entre les personnes qui portent le spectacle et le spectacle lui-même. Comme si l’œuvre avait le pouvoir de se rebeller contre elle-même et contre vous, peut-être, aussi. Dans ce régime particulier, il faut souligner le courage des protagonistes. Je ne parle pas de leur sincérité, leur authenticité, leur justesse. Ce serait présumer de ce qui arrivera. Et ça, on ne le sait pas. Je parle plutôt de leur intrépidité, témérité. Je parle de leur souffle. Je parle de leur âme. Je parle de leur esprit et de leur esprit sportif. Je parle de leur bonheur à se plonger dans le jeu, à aimer la game. Je parle de leur capacité à aller jouer dans les coins, sans protection, sans condom, sans immunisation. Dans l’arène, on les retrouve sans protection peut-être, mais sous les bons auspices d’une cohorte de créatrices qui donnent à voir et à entendre des textures et des tessitures improbables. Voilà où nous en sommes. À votre merci. Merci d’être ici. Et merci Prospero de nous plonger au cœur de la tempête. En attendant de se retrouver en son œil. En attendant que se forme cet alliage de métaux précieux entre nos élans et votre réception, nous peignons un genre d’autoportrait. Nous vous offrons notre meilleur et notre pire profil. Et tout ça pour vos beaux yeux, et le temps d’une petite heure, tenter de déjouer le sablier.

Voici la chose!

Mélanie Demers

RÉSUMÉ

Voici moi qui mouille mon lit quand j’avais douze ans
Voici une érection
Voici un secret
Voici une arme
Voici moi, qui craque

Dans l’avion, peu après avoir appris que sa mère est atteinte d’un cancer incurable, l’artiste torontois de renommée mondiale Jordan Tannahill écrit dans l’urgence des centaines d’affirmations. Les réminiscences s’entremêlent, se côtoient, oscillent entre beauté et traumatisme. L’auteur note les objets, les événements, les sensations, les souvenirs visuels, olfactifs ou auditifs qui lui traversent l’esprit : la balançoire dans la cour, l’odeur du gazon fraîchement coupé, le Big Bang, sa mère qui coupe des oignons dans la cuisine un dimanche après-midi. Il tente, avec ces courtes phrases, de capturer l’essence d’une vie à la fois absurde et fragile.

Sur scène, une envoûtante machine théâtrale s’active alors que cinq interprètes performent un geste sur chacune de ces courtes déclarations. Hors de question de répéter les mêmes mouvements d’une représentation à l’autre. La partition gestuelle générée chaque soir de manière spontanée reste vivante et vibrante. Un réel défi pour les performeur·euses qui doivent constamment renouveler l’impulsion et redécouvrir chaque phrase.

Ce ballet complexe et fascinant est orchestré par l’incroyable chorégraphe Mélanie Demers, qui partage et célèbre la vision de l’auteur sur le caractère unique de la représentation scénique, cette puissante expérience qui ne peut avoir lieu qu’une seule fois. Une première expérience de mise en scène pour cette artiste acclamée.

L’adaptation québécoise du texte est signée par l’autrice Fanny Britt. Sa traduction conserve le côté incisif et mordant de ces courtes déclarations punchées, de tous ces fragments qui composent une vie, en forme de déclaration d’amour à une mère disparue.

 

PREMIÈRE

Le 1er novembre 2022 au Théâtre Prospero (Montréal, Canada)

 

CRÉDITS

Texte : Jordan Tannahill | Traduction : Fanny Britt | Mise en scène : Mélanie Demers | Acteurs·trices : Vlad Alexis, Marc Boivin, Claudia Chillis-Rivard, Macha Limonchik, Jacques Poulin-Denis | Assistance à la mise en scène et répétitrice : Anne-Marie Jourdenais | Dramaturgie : Angélique Willkie | Scénographie et accessoires : Odile Gamache | Assistance aux accessoires : Jeane Landry-Proulx | Costumes : Elen Ewing | Assistance aux costumes : Fany Mc Crae | Lumières : Claire Seyller | Musique : Frannie Holder | Stagiaire à la musique : Dana Maldonado | Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt-Bélanger | Coach vocal : François Grisé | Régie générale : Hannah Kirby | Régie téléprompteur : Jeane Landry-Proulx

Bande-annonce

Images

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Anglesh Major - Cabaret noir © Kevin Calixte
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Full Cast - Cabaret noir © Kevin Calixte
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Full Cast - Cabaret noir © Kevin Calixte

CRÉATION

Théâtre Prospero  (Montréal, Canada)
en coproduction avec MAYDAY

PARTENAIRES

Le projet a reçu le soutien du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts de Montréal.